CePiCOP - 29.04.2025 - Epeautre : une pluie de grains ?
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Céréales

paysage. En haut, deux photos de nos essais à Gembloux prises le 14 avril
(photos 1 et 2) et en bas deux autres datant du 28 a
Une pluie de grains ?
Il y a des années où certaines pluies valent de l'or. Ce fut le cas la semaine dernière, lors des pluies du 23 et 24 avril. En quelques jours, les paysages ont changé de couleur et le vert dense est devenu la norme pour les champs de céréales. Cette vingtaine de litres a également permis une belle implantation des cultures de printemps dont les racines ont atteint la zone qui restera humide. Pour les céréales, s'il est difficile de prévoir l'impact d'une telle pluie sur la récolte, elle ne sera pas sans conséquence. Une d'entre elles, d'ores et déjà visible, porte sur le nombre d'épis car si la sécheresse s'était poursuivie rendant l'azote indisponible, la régression des talles, dont nous avons déjà parlé, aurait été plus importante. La pluie, en mettant fin à la pénurie des ressources de la plante, permet de réduire cette réduction du nombre de talles. Moins par moins donnant plus, le nombre final de talles et donc d'épis sera supérieur à ce qu'il aurait été sans les pluies. Un bémol cependant : toutes les régions n'ont pas bénéficié de ces pluies : les précipitations ne sont tombées qu'à l'est d'un axe reliant Bruxelles-Charleroi et Couvin et une bonne partie du Hainaut est contrainte d'attendre les prochains cumulo-nimbus.
Stade de développement
Les épeautres semés en octobre sont désormais au stade deuxième nœud (BBCH 32). Pour ces plantes, la feuille que l'on voit, enroulée est l'avant-dernière feuille. Il faudra encore 100 degrés-jour en base 0°C pour atteindre le stade dernière feuille pointante (BBCH37) et 150 degrés-jour en base 0°C pour le stade dernière feuille étalée (BBCH 39). Au vu des températures prévues, on devrait atteindre ces deux stades clefs respectivement les dimanche 4 mai et vendredi 9 mai. Pour les semis plus tardifs, il faut évidemment reporter ces dates. Par exemple, sur notre plate-forme à Gembloux, nous observons que les semis de la fin octobre sont au stade premier nœud (BBCH 31) tandis que d'autres du 15 novembre demeurent toujours au stade épi-1cm (BBCH 30).
Fertilisation
La très grande majorité de la fraction de montaison (fraction 2/3 ou fraction 2/2) a été apportée, dans le meilleur des cas, juste avant les pluies. Pour les fumures comportant 3 fractions, il ne restera donc que la dernière fraction (3/3) : la fraction de dernière feuille. Il est recommandé d'appliquer cette fraction en solide pour ne pas brûler les 3 dernières feuilles qui alimenteront les épis pendant la phase de remplissage des grains. Comme aucune pluie n'est plus annoncée avant d'atteindre le stade dernière feuille pointante (BBCH 37), la fraction peut être appliquée plus tôt en fonction des travaux de la ferme, les grains d'azote attendront la prochaine pluie pour se dissoudre.
Régulateur de croissance
Dans la plupart des situations, les régulateurs ont été apportés. Nous avons opté pour un traitement unique et l'avons appliqué vendredi après les pluies. Comme annoncé, nous avons évité les traitements trop phytotoxiques tels que ceux contenant du trinexapac-ethyl. Si vous n'avez pas encore eu l'occasion d'appliquer un raccourcisseur, cela reste possible cette semaine, de préférence tôt le matin, pour bénéficier d'une hygrométrie suffisante (>60%) et de température n'excédant pas 20°C.
Maladies fongiques
La question que l'on m'a posé le plus fréquemment cette semaine est la suivante : faut-il ajouter un fongicide avec mon raccourcisseur ? Cette saison, la réponse est claire : Non. Un traitement au stade deuxième nœud (BBCH 32) en épeautre ne se justifie pas et ce n'est pas la pluie de la semaine dernière qui change la donne. Cette pluie, bénéfique à bien des égards, était du type « pluie du jardinier » : une pluie qui mouille, qui pénètre bien dans le sol sans ruisseler et dont les fines gouttes tombées sans précipitations n'ont pas provoqué d' ‘'effet splash'' et n'ont donc pas permis aux rares conidies de septoriose de grimper les étages foliaires. Le printemps que nous vivons ressemble bien plus à celui de 2020 et 2022 qu'à ceux de 2021 et 2024. Si l'on reprend les résultats présentés au Livre Blanc de septembre pour ces 4 années, on s'apercevra très rapidement que les années à printemps sec (2020 et 2022), les programmes de protection les plus rentables sont ceux qui ne comportent qu'un seul traitement au stade dernière feuille étalée (BBCH 39). C'est démontré en froment et même si les données sont moins nombreuses en épeautre, d'un point de vue protection, l'épeautre est à considérer comme un froment tardif, tolérant aux maladies. La seule exception serait des champs de la variété Cosmos présentant des foyers de rouille jaune importants mais personnellement, je n'en ai pas encore vu cette saison.
Par la suite, au stade dernière feuille étalée (BBCH 39), un traitement complet sera sans doute utile pour se protéger de la rouille brune qui est présente en faible quantité et en sous-étage. Toutes les variétés y sont sensibles mais à des degrés divers. On y verra plus clair dans une dizaine de jours.
La crainte de la fusariose oriente parfois certains vers un programme en deux traitements appliqués aux stades BBCH 32 et BBCH 55. Cette dernière sert souvent de justification (pertinente ou non) aux traitements tardifs (BBCH 55 ou BBCH 65). En prévision de ce traitement, il est courant d'avancer le premier traitement au stade BBCH 32 pour éviter que les deux traitements (BBCH 39 et BBCH 55) se chevauchent. En épeautre, ce raisonnement ne tient pas car la culture est bien moins sensible aux fusarioses : les glumes et glumelles soudées aux grains constituent une barrière physique très efficace pour empêcher le champignon d'atteindre les grains. Sur ces quinze dernières années, je n'ai vu qu'une fois un champ d'épeautre fortement atteint par la fusariose. C'était en 2018 après une série d'orages durant la floraison sur une terre non labourée, encore couverte des canes de maïs de l'année précédente.
Le coin « Culture »
Je devrais bientôt obtenir de nouvelles informations sur l'histoire de l'épeautre notamment durant l'époque médiévale mais en attendant cela je vous propose un plus petit bond dans le temps d'une centaine d'années seulement, à l'époque où la Station d'Amélioration des Plantes a été créée. Dès le début (1913), mes prédécesseurs se sont concentrés sur les programmes d'amélioration en froment, avoine, orge et épeautre. Pour cette dernière culture, les premiers sélectionneurs ont collecté en 1919 et remis en culture à Gembloux des centaines de plantes provenant de champs situés dans le Condroz, la Famenne et l'Ardenne.

Ils les ont semés en ligne et les ont évalués sur plusieurs années. De la première campagne de prélèvement, 4 « lignées » ont été développées : les lignées 2, 10, 24 et 73. Parmi elles, la lignée 24 a connu un succès important au niveau de sa commercialisation d'une part mais également comme variété parent de la sélection. Elle est la grand-mère ou arrière-grand-mère de la très grande majorité des variétés d'épeautres belges (mais également allemandes).
La deuxième campagne a été réalisée par un agronome suisse de l'Agroscope en 1935 et une troisième a encore eu lieu après la deuxième guerre mondiale sous la direction du sélectionneur Emile Larose. Ces collections n'ont pas qu'une valeur patrimoniale. Par leur diversité, elles sont également des sources de résistances à des maladies, des insectes ou des situations abiotiques diverses. La diversité morphologique de ces collections est assez impressionnante. De nombreuses races locales sont aristées, très aristées ou carrément barbues. Certaines sont pubescentes (épis protégés par un velours). Les épis sont de couleurs variées (rouge, blanc ; cuivré, noir). Cependant, elles ne sont plus cultivées car elles partagent toutes une forte sensibilité à la verse ainsi qu'à la germination sur pied.

Actuellement, 210 de ces races locales sont toujours conservées au CRA-W et valorisées dans les programmes de sélection et de pré-breeding. Par exemple la variété Sérénité a pour parent-femelle la race locale RL130, collectée à Transinne en 1949. La lignée EH# 13.38, actuellement en deuxième année d'inscription en Allemagne est issue du croisement de la race locale RL 136 de Redu. Bien d'autres variétés en cours de sélection, sont les descendantes de ce patrimoine.

Je profite de cet avis pour d'ores et déjà inviter ceux qui le souhaitent à la visite de la plate-forme Sélection céréalière, le vendredi 27 juin au CRA-W. Les races locales seront présentées ainsi que le programme de sélection dans son ensemble.
Je vous souhaite une très belle semaine estivale,
Guillaume Jacquemin