CePiCOP - 30.04.2024 - Epeautre : Des carences aux symptômes impressionnants mais qui vont rapidement s’estomper avec le retour de températures plus favorables

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Céréales
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Figure 1 : Comparaison de deux lignées sélectionnées au CRA-W.

La période de froid est désormais derrière nous mais les séquelles qu'elle laisse sont toujours bien visibles. Peu de champs peuvent encore se targuer d'être bien verts, la plupart sont de couleur chamarrée tendant fortement vers le jaune mais avec des teintes de mauve, de blanc et de beige… Il ne s'agit pas comme on l'entend parfois d'une infestation record de maladies mais d'un phénomène tout à fait naturel de carences multiples atteignant une ampleur rare. 

La situation est connue : les plantes sont actuellement à un stade où elles nécessitent d'importantes ressources en éléments minéraux, or l'assimilation de nombre d'entre eux a été limitée voire bloquée par les faibles températures. Ce fut le cas de l'azote bien sûr mais également du phosphore, du soufre ou du magnésium. Privées de ces éléments depuis deux semaines, les plantes expriment tous les symptômes de manque : les vieilles feuilles qui jaunissent sont liées à la faim d'azote, les colorations rougeâtres sur les feuilles et les gaines résultent du manque de phosphore, les carences en souffre décolorent le centre des feuilles leur conférant une coloration blanchâtre… 

Figure 2 : Les jaunissements observés (A et B) dans un grand nombre de champs, qu’ils soient d’épeautre ou de froment, sont l’effet de carences en azote. Les colorations anthocyaniques (=mauves) que l’on retrouve sur la face supérieure des feuilles (A) sont, quant à elles, une réponse de la plante face au froid.

Ces carences ne sont pas dues à un manque d'azote dans le sol mais à une perturbation par le froid des différentes étapes d'assimilation de l'azote par la plante (prélèvement, transport, métabolisation, translocation). Dans le cas présent, la situation se régularisera tout naturellement avec la remontée des températures.  

Les colorations mauves (Illustration 2A) que l'on peut voir sur la face supérieure des plus grandes feuilles résultent d'une accumulation d'anthocyane, un composé flavonoïde (molécule protectrice) qui aide la plante à réagir face aux stress abiotiques et dans ce cas précis, aux coups de froid des deux dernières semaines. 

Les champs semés plus tard sont nettement plus touchés que les semis du 15 octobre. Cela peut résulter des stades atteints par les cultures mais également des différences de développements de leur système racinaire. Les plantes semées en novembre et en décembre n'ont connu que des sols gorgés d'eau. Les racines que l'on qualifie alors de « fainéantes » n'ont pas eu à descendre profondément pour nourrir la plante. Elles sont donc désormais bien plus affectées par les phénomènes de surface comme le froid que les plantes à racines bien établies. C'est également le cas en situation de sécheresse mais nous en sommes loin, pour l'instant. 

Par ailleurs, il faut noter que le facteur variétal entre également en compte : certaines variétés semblent nettement moins sensibles aux conditions subies (Photo du titre: figure 1 Comparaison de deux lignées sélectionnées au CRA-W. La parcelle de gauche (A) s'avère particulièrement sensible aux coups de froid provoquant des carences en azote, celle de droite (B) est nettement plus tolérante. La création de variétés « robustes » est un des objectifs majeurs de nos sélections froment et épeautre. Photo prise le 26 avril.). Le caractère de tolérance face aux carences est pris en considération dans nos pépinières de sélection et nous laisse espérer des variétés plus robustes face aux aléas climatiques.  

Les plantes normalement fertilisées, n'ont actuellement besoin de rien d'autre que de temps et de températures. Depuis ce week-end, les éléments minéraux bloqués dans le sol, sont à nouveau disponibles. Avec les 20°C prévus pour toute la semaine, les plantes vont produire de nouvelles feuilles et fin de cette semaine, on peut espérer retrouver des champs bien verts. 

Développement des cultures 

Les deux semaines de froid ont freiné la croissance des épeautres qui n'ont que très peu progressé depuis la mi-avril. Les épeautres les plus précoces ont atteint le stade deuxième nœud (BBCH 32) mais la grande majorité des plantes est proche du stade premier nœud (BBCH 31). Pour les derniers semis de décembre, le stade 1er nœud (BBCH 30) sera atteint en ce début de semaine.   

Fertilisation 

Les pluies et le ralentissement de la croissance par les plantes (réduction des prélèvements), a entraîné des pertes d'une partie de l'azote déjà appliquée. Une augmentation d'une vingtaine d'unités d'azote pour la fumure restant à appliquer, permettrait de compenser ces pertes. Au niveau du timing, pour les cultures plus précoces, destinée à une fertilisation en deux fractions, cette dernière est applicable. Dans les schémas en trois fractions, le stade n'est pas encore atteint pour les troisièmes fractions. Il est par contre idéal pour la deuxième fraction des semis très tardifs. Les symptômes de carence en azote concernent principalement les plantes semées tardivement ou dont le développement racinaire a été perturbé pendant l'hiver (ex : dans les zones où l'eau a stagné). Pour ceux-là et pour les plantes blessées par les grêles, les formulations solides sont à privilégier. 

Raccourcisseurs 

L'application d'un raccourcisseur pour les cultures d'épeautre qui n'ont pas encore été régulées est désormais possible. Pour celles qui l'ont déjà été, un second traitement n'est pas nécessaire au vu des stress subis durant la montaison. Pour les plantes présentant des stress importants, il vaut mieux retarder les traitements raccourcisseurs ou éviter les produits les plus phytotoxiques comme les Chlorméquat chlorure (Cycocel®) et les produits à base de Trinexapac-éthyl (Moddus®). 

Maladies et ravageurs  

Contrairement à ce que laissent penser les nombreux jaunissements et nécroses actuellement observés, la pression des maladies en épeautre reste faible. Paradoxalement, la période stressante subie par les plantes peut s'avérer bénéfique pour réduire la pression des maladies. Premièrement, les champignons qui colonisaient les vieilles feuilles ont été éliminés par la destruction anticipée de ces feuilles. Deuxièmement, les plantes stressées sont moins attractives pour les maladies : leur sève est moins riche en nutriments recherchés par les champignons tels que les composés azotés ou les sucres.  Enfin, les plantes stressées mettent en place des mécanismes de résistance contre les stress abiotiques qui sont également actifs sur les pathogènes. 

L'épeautre est une céréale rustique qui devrait pouvoir se contenter d'un seul traitement fongicide par saison. Le point faible de la plupart des épeautres est leur sensibilité à la rouille brune, c'est pourquoi ce traitement unique est à positionner lorsque la dernière feuille est étalée (BBCH 39). Les traitements plus tardifs ne sont pas pertinents car les épis d'épeautre sont bien plus tolérants à la fusariose que ceux des froments. Certaines variétés dont la carrière est déjà bien longue, sont devenues progressivement plus sensibles à la rouille jaune (Cosmos) ou à la septoriose (Zollernspelz). Pour ces variétés, un traitement au stade 2e nœud (BBCH 32) est envisageable si la situation du champ le requiert, ce qui n'est le cas ni dans nos pépinières ni dans notre réseau d'essais. Un tableau reprenant les sensibilités variétales est présenté ci-dessous afin de vous aider à définir la pertinence d'un éventuel « T1 » (traitement fongicide au stade BBCH32). 

Tableau 1 : Comparatif de caractères agronomiques pour les variétés d’épeautre commercialisées en Belgique. Données issues des observations réalisées par le pôle Sélection Céréalière du CRA-W. Pour les échelles de cotation de 1 à 9, 9 est la cote la plus favorable.

Groupe « Epeautre », G. Jacquemin 


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